Annoncé en grande pompe en 2022, le standard Matter devait enfin résoudre le casse-tête de la maison connectée : unifier Google Home, Amazon Alexa, Apple HomeKit et Samsung SmartThings sous un seul et même langage.
Trois ans plus tard, le rêve d’un écosystème fluide et interopérable de la maison connectée s’est transformé en un labyrinthe d’incompatibilités et de promesses non tenues.
Matter: Une brillante idée sur le papier
À l’origine, Matter devait être le « USB-C » de la maison connectée — un protocole unique permettant à n’importe quel appareil, peu importe sa marque, de fonctionner sur n’importe quelle plateforme. Fini les dilemmes du type « est-ce que mon interrupteur Xiaomi fonctionne avec HomeKit ? » : tout devait marcher, simplement.
Matter repose sur une architecture IP (Internet Protocol v6), capable de relier les objets via Ethernet, Wi-Fi ou Thread, sans dépendre du cloud. L’idée : un standard ouvert, adopté conjointement par Apple, Google, Amazon et Samsung, garantissant compatibilité et sécurité.
Mais voilà le problème : si Matter fixe les règles, il ne dicte pas comment les géants doivent les appliquer. Résultat : chacun fait sa propre interprétation, et la « compatibilité universelle » reste largement théorique.

Des versions qui ne suivent pas
Aujourd’hui, Matter est arrivé à la version 1.4.2, mais l’adoption des mises à jour est tout sauf harmonieuse.
- Samsung et Amazon ont rapidement adopté la v1.4,
- Apple en est seulement à la v1.2,
- Google est resté bloqué à la v1.0, soit la version initiale de 2022.
Concrètement, cela signifie que deux appareils « Matter » peuvent ne pas fonctionner de la même manière selon l’écosystème.
Exemple parlant : le robot aspirateur SwitchBot Mini K10+. Sur Alexa, il fonctionne parfaitement. Sur Apple Home, impossible de sélectionner une pièce ou de passer du mode aspiration au lavage — seule la mise en marche est disponible. Il aura fallu attendre iOS 18.4 pour que Matter 1.2 corrige partiellement le tir, un an après l’achat de l’appareil.
Des promesses de compatibilité non tenues
Autre déception : plusieurs fabricants avaient promis des mises à jour pour rendre leurs anciens produits compatibles Matter — promesses rarement tenues.
Nanoleaf, Schlage ou encore Eve ont fini par reconnaître que la transition vers Matter nécessitait trop de mémoire et de ressources système, préférant sortir de nouveaux modèles compatibles plutôt que d’adapter les anciens.
Résultat : des utilisateurs contraints de racheter du matériel pour profiter d’un standard censé leur simplifier la vie.

Moins de fonctions, plus de frustrations
Même lorsque Matter fonctionne, il supprime parfois des fonctionnalités auparavant disponibles via les applications natives.
- Les ampoules Philips Hue perdent la fonction Éclairage adaptatif lorsqu’elles passent de HomeKit à Matter.
- Les prises Eve Energy n’affichent plus la consommation électrique sous Alexa via Matter, car cette donnée n’est pas encore supportée par le standard.
Bref : Matter garantit la connexion, pas l’expérience complète.
Toujours trop d’applications
L’un des grands espoirs de Matter était de réduire le nombre d’apps nécessaires pour gérer sa maison connectée. En réalité, c’est souvent l’inverse.
Même les appareils « Matter certifiés » exigent encore l’installation de leur application propriétaire pour effectuer la première configuration, accéder aux fonctions avancées (cartographie, automatisations, statistiques), ou passer par un hub dédié, comme le SwitchBot Hub 2 ou le Pont Hue de Philips.
Là encore, la simplicité promise s’est transformée en complexité masquée.
Trois ans après : un standard déjà en difficulté
Trois ans après son lancement, Matter devait libérer les utilisateurs des écosystèmes fermés. Aujourd’hui, il reproduit les mêmes fractures qu’il devait abolir :
- des plateformes à des versions différentes,
- des produits qui perdent leurs fonctions,
- des fabricants qui renoncent à mettre à jour leurs anciens modèles,
- et des utilisateurs toujours dépendants de plusieurs apps.
Si Matter devait être le futur de la maison connectée, alors il est en train de manquer sa mission.
Un avenir encore incertain
La lenteur d’adoption n’est pas entièrement de la faute de Matter. Le CSA (Connectivity Standards Alliance), qui pilote le projet, dépend des grands acteurs pour le faire avancer.
Tant qu’Apple, Google, Amazon et Samsung ne s’accorderont pas sur une mise en œuvre commune et sur la prise en charge des mêmes versions, le rêve du smart home universel restera hors d’atteinte.
Pour que Matter survive, il doit cesser d’être un logo sur les emballages et devenir une expérience concrète, cohérente et complète.
Sans cela, il risque de rejoindre la longue liste des standards prometteurs… oubliés.



