La Commission européenne s’apprête à franchir une nouvelle étape décisive dans sa politique de cybersécurité : elle envisage d’interdire purement et simplement Huawei et ZTE de l’ensemble des réseaux de télécommunications européens.
Cette décision ne concernerait pas les smartphones ou produits grand public du constructeur chinois — du moins pas directement.
Elle viserait avant tout les équipements d’infrastructure, tels que les antennes 5G, les routeurs et les systèmes centraux utilisés par les opérateurs pour faire fonctionner les réseaux mobiles et Internet haut débit.
D’une recommandation à une obligation légale
Selon Bloomberg, la vice-présidente de la Commission, Henna Virkkunen, souhaite transformer la recommandation européenne de 2020 — qui conseillait d’éviter les fournisseurs « à haut risque » — en réglementation contraignante.
Autrement dit, les 27 États membres seraient légalement tenus de retirer les équipements Huawei et ZTE de leurs réseaux 5G et filaires. En cas de refus, ils pourraient faire face à des sanctions financières ou juridiques.
« La sécurité de nos réseaux 5G est cruciale pour notre économie », a déclaré Thomas Regnier, porte-parole de la Commission européenne.
Une telle mesure centraliserait les décisions à Bruxelles, limitant l’autonomie de chaque pays dans le choix de ses fournisseurs technologique — une compétence traditionnellement nationale.
Un contexte géopolitique tendu avec la Chine
Cette proposition s’inscrit dans un climat politique et économique de plus en plus crispé entre l’UE et la Chine. L’Europe redoute depuis plusieurs années la dépendance technologique à l’égard de Pékin, notamment dans des secteurs jugés stratégiques, comme les télécoms, les batteries et les semi-conducteurs.
Les autorités européennes estiment que les liens étroits entre Huawei et le gouvernement chinois pourraient poser un risque d’espionnage ou de sabotage. L’idée est de protéger les infrastructures critiques contre d’éventuelles ingérences étrangères — une inquiétude que les États-Unis avaient déjà concrétisée dès 2019 en imposant de lourdes restrictions à Huawei.
Les critiques, eux, dénoncent une décision plus politique que sécuritaire. Selon Huawei et Pékin, cette interdiction serait une mesure protectionniste qui ralentirait le déploiement de la 5G en Europe et augmenterait les coûts pour les opérateurs.
Des pressions sur les pays tiers
La Commission européenne envisagerait également d’étendre son influence au-delà des frontières de l’UE. L’une des pistes à l’étude consisterait à suspendre certains financements européens aux pays partenaires qui utiliseraient encore des équipements chinois dans des projets soutenus par Bruxelles.
En clair, l’UE cherche à créer un front technologique unifié, aligné sur les standards de sécurité occidentaux, et à réduire l’emprise industrielle chinoise dans ses infrastructures.
Et pour les consommateurs ?
Concrètement, cette décision n’aurait aucun impact immédiat sur les smartphones Huawei déjà présents en Europe. Les utilisateurs pourront continuer à acheter et utiliser les appareils de la marque.
Mais le message est clair : Huawei se voit peu à peu pousser hors du marché européen. Après les restrictions américaines et le recul de ses parts de marché dans les mobiles, le bannissement de ses infrastructures télécoms pourrait représenter un nouveau coup dur pour son activité sur le continent.
Huawei devra alors continuer à se recentrer sur d’autres marchés (notamment l’Asie, l’Afrique et l’Amérique latine) et à développer des produits grand public, IA et cloud pour compenser la perte du secteur des réseaux.
Cette interdiction, si elle est adoptée, marquerait une rupture majeure dans la politique numérique de l’Union européenne. Elle traduirait la volonté croissante de Bruxelles de s’aligner sur la stratégie américaine vis-à-vis de la Chine, tout en affirmant une souveraineté technologique européenne — quitte à fragiliser ses propres opérateurs à court terme.
Le bras de fer entre sécurité, économie et diplomatie ne fait que commencer.



