Le prix Nobel de physique 2025 a été attribué mardi à John Clarke, Michel H. Devoret et John M. Martinis pour leurs travaux révolutionnaires sur la mécanique quantique menés dans les années 1980.
Le trio a été récompensé « pour la découverte de l’effet tunnel quantique macroscopique et de la quantification de l’énergie dans un circuit électrique », selon le communiqué de l’Académie royale des sciences de Suède. Leur découverte a ouvert la voie à une nouvelle génération de technologies quantiques — des ordinateurs quantiques aux capteurs ultra-précis, en passant par la cryptographie quantique.
Les trois lauréats se partageront les 11 millions de couronnes suédoises (environ 1,1 million de dollars), lors de la cérémonie du 10 décembre 2025 à Stockholm.
De la théorie à l’expérience : rendre le tunnel quantique visible
Avant leurs travaux, le phénomène du tunnel quantique — selon lequel des particules peuvent traverser une barrière théoriquement infranchissable — n’était qu’un concept abstrait.
Clarke, Devoret et Martinis ont été les premiers à le démontrer dans un circuit physique, un exploit qui allait jeter les bases de l’électronique moderne et du calcul quantique.
Pour imager ce phénomène, on peut comparer un électron à une vague d’eau face à un mur. Même si cette vague n’a pas assez d’énergie pour passer par-dessus, il existe une petite probabilité que l’électron « fuit » à travers la barrière — un effet impossible à expliquer par la physique classique, mais confirmé expérimentalement à l’échelle subatomique.
Leur travail a prouvé que ces effets ne se limitent pas aux particules isolées : ils peuvent aussi apparaître à l’échelle macroscopique, dans des systèmes composés de milliards d’électrons.

Le circuit Josephson : un pont entre le microscopique et le macroscopique
Au milieu des années 1980, les trois chercheurs — alors à l’Université de Californie à Berkeley — ont conçu une jonction Josephson, un dispositif formé de deux conducteurs séparés par une fine barrière isolante. À très basse température, les électrons y forment des paires de Cooper capables de traverser la barrière sans résistance électrique.
Ils ont construit un oscillateur électrique miniature, mesurant à peine un centimètre, qu’ils ont surnommé le « pendule quantique ». En injectant un courant électrique dans le circuit et en mesurant les changements de tension, ils ont observé un comportement surprenant : lorsque la température descendait sous un certain seuil, le courant devenait indépendant de la température, signe clair que le système était entré dans un état quantique macroscopique.
Les chercheurs ont également montré que le circuit présentait des niveaux d’énergie discrets, comme les atomes — une propriété typiquement quantique.
En d’autres termes, ils avaient transformé un circuit électrique en atome artificiel géant.
Les ancêtres des qubits
Leurs travaux ont permis de concevoir les premiers qubits supraconducteurs, les unités fondamentales des ordinateurs quantiques modernes.
Comme l’explique le physicien Irfan Siddiqi (UC Berkeley) : « C’était le grand-père des qubits. Leurs circuits Josephson ont prouvé que le monde quantique pouvait exister dans un circuit électrique ».
Martinis a poursuivi sur cette voie et a démontré que ces circuits pouvaient représenter un bit quantique, avec un état « 0 » et « 1 » selon le niveau d’énergie. Ces découvertes ont mené à la création du transmon, un type de qubit beaucoup plus stable utilisé aujourd’hui par IBM, Google et d’autres acteurs majeurs du calcul quantique.
Prix Nobel 2025 : Du laboratoire à l’ère du quantique
Les trois chercheurs ont suivi des parcours complémentaires :
- John Clarke, professeur émérite à l’Université de Californie à Berkeley, a dirigé le laboratoire où tout a commencé.
- Michel Devoret, aujourd’hui chef scientifique du hardware quantique chez Google Quantum AI et professeur à l’Université de Californie, Santa Barbara, poursuit l’exploration de la supraconductivité.
- John Martinis, également professeur à Yale et à UC Santa Barbara, a conduit en 2019 l’équipe de Google qui annonçait avoir atteint la « suprématie quantique », soit un calcul effectué plus vite qu’un superordinateur classique.
Selon l’Académie suédoise : « Leurs travaux ont permis de développer la prochaine génération de technologies quantiques, notamment les ordinateurs, les capteurs et la cryptographie quantiques ».
Pour Jonathan Bagger, directeur de l’American Physical Society, ce Nobel illustre parfaitement la force de la recherche fondamentale : « Ce prix montre l’importance d’investir dans des recherches dont les applications ne sont pas encore connues — car tôt ou tard, elles changent le monde ».



