Après des années de tensions croissantes autour de la suprématie technologique, Taïwan vient de franchir un cap stratégique en interdisant officiellement l’exportation de puces électroniques vers Huawei et SMIC, le plus grand fondeur chinois.
Cette décision rapproche encore davantage Taipei de la politique américaine en matière de contrôle des exportations technologiques, mais cache aussi des enjeux de sécurité nationale et d’indépendance industrielle.
Huawei et SMIC dans la tourmente : une dépendance fragilisée
Cette interdiction n’est pas anodine. Huawei et SMIC, déjà sous le coup de sanctions américaines depuis 2019, perdaient un accès direct aux semi-conducteurs de pointe produits par TSMC, le fondeur taïwanais leader mondial du secteur. Mais, selon plusieurs rapports récents, Huawei aurait contourné ces restrictions en passant par des sociétés-écrans pour se procurer des « chiplets » (ou composants modulaires) fabriqués par TSMC, destinés à ses puces d’IA Ascend 910B.
Avec cette nouvelle réglementation, toutes les exportations de composants, services ou équipements stratégiques depuis Taïwan vers Huawei, SMIC ou d’autres entités situées en Chine continentale nécessiteront une autorisation préalable du gouvernement.
Chiplets vs puces classiques : une stratégie de contournement technologique
Contrairement aux puces traditionnelles construites sur une seule « die », un chiplet est un composant modulaire intégré à une architecture plus large, permettant de combiner des blocs spécifiques, comme les cœurs CPU, les unités GPU ou encore les accélérateurs IA.
Ce processus permet de mélanger des technologies de gravure différentes, mais surtout de réduire les coûts et contourner les limitations imposées par les sanctions, en utilisant des fournisseurs intermédiaires. C’est précisément ce que Huawei aurait tenté avec ses chiplets TSMC, déclenchant l’ire des autorités américaines et taïwanaises.
Les États-Unis dans l’ombre de la décision taïwanaise ?
Plusieurs sources suggèrent que cette interdiction pourrait faire partie d’un accord tacite entre Taïwan et les États-Unis, suite à une possible amende de plus d’un milliard de dollars envisagée par Washington contre TSMC pour ses livraisons de chiplets à Huawei.
Mais le contexte dépasse le simple cadre légal. Taïwan redoute une militarisation des technologies avancées par Pékin. Si Huawei, sous contrôle indirect de l’État chinois, obtient des puces de dernière génération, elles pourraient équiper des technologies militaires utilisées contre Taïwan, dans un scénario de conflit armé justifié par la doctrine de « réunification » chinoise.
Vers un ralentissement de l’IA en Chine ?
En bloquant l’accès à des technologies de pointe, Taïwan — déjà appuyé par les États-Unis, les Pays-Bas et le Japon — freine les ambitions chinoises en intelligence artificielle. Huawei et SMIC devront désormais se contenter de méthodes de fabrication obsolètes, comme le multiple patterning basé sur des technologies de lithographie plus anciennes, réduisant leurs performances et augmentant les coûts.
Même si la Chine a débloqué 27 milliards de dollars pour soutenir son industrie des semi-conducteurs, les obstacles technologiques restent majeurs.
Avec cette décision, Taïwan renforce sa position stratégique dans la chaîne d’approvisionnement mondiale en semi-conducteurs. En parallèle, elle protège ses intérêts face à une Chine toujours plus agressive sur le plan technologique et militaire, tout en consolidant ses alliances occidentales.
Ce mouvement marque une nouvelle ère dans la guerre des puces, où chaque transistor devient un levier de pouvoir politique, économique, et militaire.