Il y a trois semaines, Calvin French-Owen, ingénieur et ancien cofondateur de la startup Segment (revendue à Twilio pour 3,2 milliards de dollars), quittait OpenAI après une année intense. Aujourd’hui, il partage son retour d’expérience sans langue de bois, levant le voile sur le fonctionnement interne d’une des entreprises les plus surveillées de la tech mondiale.
Son témoignage, publié dans un article de blog devenu viral, offre un aperçu fascinant de la culture d’entreprise d’OpenAI, de ses méthodes de travail, mais aussi des défis techniques et humains d’une entreprise passée de 1 000 à 3 000 employés en un an.
OpenAI : Une croissance fulgurante qui met tout sous tension
Dès son arrivée, French-Owen a été plongé dans un environnement en hypercroissance. En un an, OpenAI a multiplié par trois ses effectifs pour répondre à une demande explosive : plus de 500 millions d’utilisateurs actifs pour ChatGPT à la mi -2025. Une croissance jamais vue dans l’histoire des produits technologiques.
Mais à cette vitesse, tout casse, explique-t-il : communication interne, processus de livraison produit, organisation des équipes, gestion RH, etc. Le cadre évoque une ambiance de startup… dans un colosse mondial. « OpenAI ne se rend pas encore compte qu’elle est devenue une très grande entreprise », écrit-il. L’entreprise fonctionne toujours… entièrement sur Slack.
Codex : un sprint épuisant de 7 semaines
French-Owen a notamment travaillé sur Codex, l’agent de codage d’OpenAI qui rivalise avec Cursor ou le mode « Claude Code » d’Anthropic. Son équipe — composée de 8 ingénieurs, 4 chercheurs, 2 designers, 2 commerciaux et 1 product manager — a conçu et lancé le produit en seulement 7 semaines, sans sommeil ou presque.
« Le simple fait de le mettre dans la barre latérale gauche de ChatGPT a suffi pour que des milliers d’utilisateurs s’en emparent », raconte-t-il. L’effet viral de la plateforme a servi de levier de lancement plus puissant que n’importe quel plan marketing.
Une dette technique grandissante
Le revers de la médaille ? Un codebase monolithique et chaotique, écrit-il. L’ingénierie chez OpenAI repose sur Python, un langage flexible mais peu structurant. Ajoutez à cela des ingénieurs de niveaux très différents — des vétérans de Google côtoient des PhD fraîchement diplômés — et vous obtenez une architecture instable.
« J’ai vu au moins une demi-douzaine de bibliothèques différentes pour la gestion de files d’attente ou les boucles d’agents », confie-t-il. Résultat : des doublons, du code non optimisé et des plantages fréquents. Les managers sont conscients du problème, et des efforts sont en cours pour améliorer la stabilité du système.
Une culture de la discrétion… presque paranoïaque
Le succès de ChatGPT a aussi engendré une culture de la confidentialité très stricte. Les risques de fuites ou de mauvaise communication sont tellement élevés que l’entreprise adopte une stratégie de surveillance interne, tout en restant très attentive aux signaux sur les réseaux sociaux, en particulier sur X (ex-Twitter).
« Un ami à moi a dit : OpenAI fonctionne à l’énergie de Twitter », plaisante French-Owen. Une blague, mais qui reflète bien l’ambiance : chaque tweet viral est pris au sérieux.
La vérité sur la sécurité chez OpenAI
L’un des points les plus intéressants du billet concerne la sécurité — un sujet souvent sujet à polémiques autour d’OpenAI. Contrairement à ce que beaucoup imaginent, la sécurité n’est pas prise à la légère, selon French-Owen.
Il distingue deux approches :
- La sécurité théorique (scénarios catastrophes à long terme)
- Et la sécurité pratique (discours haineux, manipulation politique, bio-terrorisme, autodestruction, injections de prompts, etc.)
« En interne, la priorité est clairement donnée à la sécurité concrète et immédiate », affirme-t-il. Mais il confirme que des équipes travaillent sur les risques à long terme, tout en reconnaissant que l’entreprise marche sur une ligne de crête, entre innovation rapide et responsabilité éthique.
Le modèle OpenAI : entre désordre contrôlé et puissance virale
Ce témoignage d’initié révèle une entreprise tiraillée entre son ADN de startup et sa stature de géant mondial. D’un côté, une culture de l’action rapide, peu de bureaucratie, beaucoup d’autonomie, et des lancements qui explosent immédiatement grâce à l’effet ChatGPT. De l’autre, une complexité croissante, une dette technique, une organisation qui peine à suivre, et des enjeux géopolitiques colossaux.
Mais malgré les failles, l’élan reste impressionnant. OpenAI continue de sortir des produits majeurs, d’attirer les meilleurs talents et de capter l’attention des gouvernements, des médias et des concurrents à chaque mouvement.
Le départ de Calvin French-Owen ne s’explique pas par une crise ou une controverse. Il veut simplement retourner dans l’univers des startups, retrouver l’agilité et l’adrénaline de la création pure. Mais son année chez OpenAI restera pour lui, et pour nous, le témoignage rare d’un moment charnière dans l’histoire de l’intelligence artificielle.
OpenAI est encore loin d’avoir atteint la maturité d’une entreprise comme Google ou Microsoft. Mais son impact, lui, est déjà planétaire.



