Le bras de fer entre les navigateurs Web s’intensifie. La société norvégienne Opera s’apprête à déposer une plainte officielle contre Microsoft auprès de l’autorité brésilienne de la concurrence (CADE), l’accusant de favoriser abusivement son navigateur Edge sur les appareils Windows.
Selon des informations relayées par TradingView News, Opera entend dénoncer plusieurs mécanismes utilisés par Microsoft pour consolider la domination de Edge : préinstallation par défaut, fenêtres pop-up incitant à ne pas changer de navigateur, ou encore des intégrations système qui rendent le changement de navigateur plus complexe qu’il ne devrait l’être.
Ce comportement ne serait pas nouveau, mais rappellerait les méthodes employées par Microsoft à la fin des années 1990 avec Internet Explorer, qui avaient conduit à l’une des plus grandes procédures antitrust de l’histoire des États-Unis.
Un air de déjà-vu : le spectre des guerres de navigateurs du passé
Le PDG de Vivaldi, Jon von Tetzchner, n’a pas hésité à qualifier les tactiques actuelles de Microsoft de « désespérées » et « anticoncurrentielles », soulignant que la firme semble n’avoir tiré aucune leçon des erreurs du passé. Il n’est pas le seul à le penser : les critiques fusent dans la presse spécialisée, et de nombreux développeurs de navigateurs indépendants pointent une réalité alarmante.
La stratégie actuelle de Microsoft consiste à verrouiller les utilisateurs dans son écosystème, en utilisant la puissance de Windows pour imposer Edge, Bing, Copilot et d’autres services maison.
La Browser Choice Alliance : une riposte collective

En réponse, Opera a récemment rejoint une coalition inédite : la Browser Choice Alliance, aux côtés de Chrome, Vivaldi, Waterfox et Wavebox. Leur objectif ? Défendre la liberté de choix des utilisateurs et mettre fin aux privilèges injustes accordés à Edge.
Le groupe réclame des mesures claires de la part des régulateurs, comme l’affichage d’écrans de choix de navigateur au démarrage de Windows, et la fin des obstacles techniques qui freinent l’installation ou la définition d’un navigateur tiers par défaut.
Un rapport de force déséquilibré, malgré une faible part de marché
Ironiquement, Edge ne détient que 5 à 10 % de part de marché mondiale, très loin derrière Chrome. Mais sa position par défaut dans Windows lui donne une visibilité inégalée et une influence majeure dans le choix initial des utilisateurs.
Les analystes soulignent que cette préinstallation couplée à l’interface biaisée de Windows crée un effet de verrouillage, empêchant une concurrence équitable et décourageant les utilisateurs les moins avertis d’explorer d’autres options.
Le Brésil comme nouveau terrain de bataille
Opera vise le marché brésilien en priorité, où Microsoft détient une part considérable du marché PC. La plainte, attendue dans les prochaines semaines, pourrait créer un précédent si le CADE (l’équivalent de l’Autorité de la concurrence) décide de forcer Microsoft à ouvrir l’accès à ses plateformes.
Ce mouvement intervient en parallèle d’une autre action d’Opera devant la Cour générale de l’Union européenne, contestant la décision de Bruxelles de ne pas classer Edge comme « gardien » dans le cadre du Digital Markets Act (DMA).
La plainte d’Opera s’inscrit dans un climat de remise en cause mondiale des pratiques des géants de la tech. Aux États-Unis, le DOJ poursuit Google pour abus de position dominante dans la recherche, une affaire qui touche aussi indirectement la guerre des navigateurs.
De son côté, Microsoft a déjà été contraint par le passé à payer plusieurs milliards d’euros d’amendes pour des pratiques similaires. Les autorités européennes, brésiliennes, voire indiennes ou sud-coréennes, pourraient suivre le mouvement si le dossier prend de l’ampleur.
L’enjeu : préserver l’innovation dans un marché étouffé
Pour les navigateurs alternatifs comme Opera, la bataille dépasse la simple visibilité : elle touche à leur capacité d’innover et de se différencier. Le navigateur norvégien a longtemps été pionnier sur des fonctionnalités comme le VPN intégré, le bloqueur de publicité natif, ou encore les interfaces personnalisables.
Ces innovations ont peu de chance d’atteindre le grand public si Microsoft continue à orienter les utilisateurs par défaut vers ses propres services.
Face à une coalition d’acteurs majeurs et à une pression réglementaire croissante, Microsoft pourrait être contrainte d’assouplir sa position, voire de proposer à nouveau un écran de sélection de navigateurs, comme cela avait été le cas en Europe en 2010.
Mais, la firme de Redmond continue de défendre Edge, en insistant sur ses avantages en matière de sécurité, d’intégration à Windows et de productivité.
L’issue de ce conflit pourrait bien redéfinir les règles du jeu sur le marché des navigateurs, avec des conséquences directes sur l’expérience utilisateur pour des milliards de personnes.



